La magie du canot

Par James Raffan

Très tôt, lors de la planification de ce qui est devenu le projet Canada C3, notre chef d’expédition Geoff Green et moi avions discuté de la possibilité d’organiser une de mettre en liens une série d’expéditions en canot sur toutes les rivières majeures du pays pour venir à la rencontre du navire qui fera le tour du pays de Toronto à Victoria. Malheureusement, bien qu’il y ait plusieurs projets de canotage organisés cette année dans ce pays de rivières, nous ne sommes pas parvenus à mettre à bien notre idée d’une manière qui aurait eu du sens. Geoff a donc suggéré que nous placions un canot dans l’espace de rencontre principal du navire Canada C3. Et c’est précisément ce qui est arrivé.

Le Musée canadien du canot nous a livré, à Toronto (grâce à Mike Ormsby) un magnifique canot fait à la main en écorce de bouleau qui fait partie de la plus grande collection de canots, de kayaks et d’embarcations non propulsés au monde. La magnifique pièce a été suspendue au plafond de l’ancien hangar à hélicoptère qui se trouve à bord du Polar Prince. De chaque côté du canot, nous avons accroché des qayaqs faits de peaux tendues sur un cadre de bois selon le style typique de la Terre de Baffin afin de reproduire l’expression nordique de l’idée du canot tel qu’incarné par le canot d’écorce classique. Ces derniers ont été fabriqués au Musée canadien du canot dans le cadre d’un projet nommé Q is for Qayaq, mis en œuvre en partenariat avec la fondation Student on Ice.

Le canot n’a pas pu être installé correctement dans le hangar avant le début de la deuxième étape du voyage. Après avoir bien fixé l’embarcation avec les élingues appropriées pour qu’il résiste aux mers les plus agitées, j’ai alors eu la chance d’expliquer que dans cette nation de rivières qui nourrit une rivière de nations, en remontant au tout début des temps sur l’Île de la Tortue et jusqu’à ce jour, que l’équipement commun aux Premières Nations, aux Inuits, aux Métis, aux Français, aux Anglais et aux Nouveaux-Canadiens est le canot. Ainsi, c’est le canot, dans toutes ses expressions de partout au pays, qui nous lie à la terre et aux autres. En tant que symbole suspendu dans l’espace de rencontre principal du navire, le canot sert à rappeler à tous les participants de Canada C3 que nous sommes liés par le canot.

Il y a bien entendu beaucoup à dire sur le sujet… mais lorsque quelqu’un demande en quoi le périple maritime Canada C3 a à voir avec les fleuves et les rivières, j’évoque l’image de l’écrivain Rudy Wiebe, si bien présenté dans son ouvrage Playing Dead : A contemplation on the Arctic, que le Canada n’est pas tant un réseau de rivières qui s’écoulent vers la mer que des doigts noueux de la mer qui se dirigent vers les pâturages de la région montagneuse des Rocheuses. Ensuite, en jouant un peu sur les mots, je leur demande d’imaginer les vagues énormes des trois océans qui se brisent le long des côtes canadiennes; le déferlement des vagues de l’océan poussées par les vents depuis l’Atlantique, le Pacifique et l’Arctique qui sont lancées haut dans les airs alors qu’elles se lient au Canada. Des embruns créés par la force de ses intersections océaniques, les lettres o-c-é-a-n tourbillonnent et retombent pour former c-a-n-o-ë, procurant ainsi l’embarcation idéale pour continuer à explorer l’intérieur des terres de cette nation de rivières qui s’appelle le Canada.

Oui, je sais, c’est un peu trop poétique. Mais quelque part, ce canot dans le hangar, cet endroit où des discussions, des larmes, des expressions de joie ou d’exaspération et une harmonie qui fait chaud au cœur affluent… ce magnifique petit canot d’écorce dans le hangar qui représente l’idée que les participants de Canada C3 sont tous « dans le même bateau » et qu’ils doivent « ramer dans le même sens » est une façon de ré-imaginer notre pays et d’intégrer les thèmes principaux du projet – l’implication de la jeunesse, la diversité et l’inclusion, la science et l’environnement, ainsi que la réconciliation – alors que le voyage se fait de communauté en communauté, lors de ce remarquable périple de 150 jours autour du littoral le plus long du monde.

Bien entendu, le canot d’écorce dans le hangar n’est pas le seul canot à bord du Polar Prince. Un prêt de la famille Mason, de Chelsea au Québec, a permis à une autre embarcation à pagaie de se joindre à l’équipe. Vogue-à-la-mer (Paddle to the Sea), le canoteur le plus connu d’Amérique du Nord, un conte classique pour enfant d’Holling Clancy Holling et film de l’ONF le plus vu et réalisé par Bill Mason… donc Paddle est avec nous pour le voyage, prenant un bain dans l’océan aussi souvent que possible. De plus, à Miawpukek, la seule communauté micmaque de l’île de Terre-Neuve, le chef Misel Joe, un ami de C3 et du Musée canadien du canot, a fait don à Geoff et à l’équipe de Canada C3 d’un autre magnifique canot d’écorce, fabriqué localement, et a exprimé un éloge lors du dernier jour du Pow Wow sur la manière dont les Canadiens de tous les horizons sont tous « liés par le canot ».

La bonté humaine engendrée par le projet Canada C3 n’a pas de source unique, pas de point d’origine unique. L’énergie circule vers le projet et de ce dernier depuis l’équipage du navire, le personnel de C3, les jeunes ambassadeurs et tous les participants à travers le pays, et bien entendu, depuis les habitants de toutes ces communautés, grandes ou petites, qui ont accueilli le navire à bras ouverts. Je ne peux toutefois pas m’empêcher de penser que le canot dans le hangar nous offre un point focal, un noyau, une idée qui se retrouve catalysée ou filtrée à travers chacune des discussions qui ont lieu à bord ou à proximité du Polar Prince. Une preuve (jusqu’à présent) du pouvoir de l’idée de nation-de-rivières, rivière-de-nations liées-par-le-canot pour le Canada est la chanson thème composée en réponse à la première explication de la présence du canot d’écorce de bouleau suspendu dans l’espace de rencontre principal du navire.

Les musiciens d’Über Leg 2, Alex Cuba (mon camarade de chambre… je n’arrive toujours pas à y croire!), Andrea Menard (soupir…) et Heather Rankin (cette voix, cette voix incroyable!) ont repris l’idée du canot et ont joué avec celle-ci alors que nous descendions le fleuve Saint-Laurent. Il y a eu une première idée qui s’est développée dans le vieil autobus scolaire qui nous a menés jusqu’à la communauté mohawk de Kahnawake. Ils ont chanté alors que nous aurions dû dormir. Ils ont enregistré quelques versions dans un petit studio de fortune (lire un garde-robe) à quelques marches du pont arrière. Après coup, avec l’aide de l’équipe de communication de C3, ils se sont offert une session d’enregistrement avec tout le monde dans le poste d’équipage du Polar Prince (#meilleurescèneauCanada) avec tout juste quelques minutes avant que les participants de l’étape 2 du voyage ne s’accordent à la même note qui a résonné tout au long de l’étape 3 de l’expédition.

Mesdames et messieurs, mes nombreux amis Facebook, je vous présente le résultat

Sans m’attarder sur les effets émotionnels qu’apporte la participation à cet intense projet pour le 150e (suivi de près par un autre projet similaire de Canada 150 appelé Connected by Canoe, beaucoup plus court, mais tout aussi mémorable http://www.canoemuseum.ca/connected-by-canoe/), je peux dire que d’avoir partagé depuis le début de mai des mots et des larmes avec tant de Canadiens dotés une volonté d’aller de l’avant avec la réconciliation, j’ai de plus en plus de difficulté à chanter l‘Ô Canada. La chanson River of Nations n’est en rien un remplacement, mais elle occupe pour l’instant une place importante, et le simple fait d’en fredonner le refrain fait chanter le cœur. Peut-être que lorsque nous aurons ajouté des couplets dans des langues autochtones du nord et de l’ouest du pays à ceux déjà présents en français, en anglais, en mohawk et en espagnol, cet air pourra prendre une place d’hymne pour l’ensemble du territoire. En attendant, je suis certain que c’est juste le début d’une magie du canot qui opère à bord du navire Canada C3. Et il y a encore beaucoup plus à venir. Joignez-vous à nous et suivez-nous tout au long de notre parcours (www.canadac3.ca).