Observation de la glace durant l’étape 7

Par Grant Gilchrist

Tandis que nous quittions la baie de Frobisher en naviguant vers le nord, les gens se rassemblaient souvent à l’avant du navire et se penchaient pour regarder la glace et les oiseaux qui volaient en contrebas. Ils avaient l’air de sprinteurs photographiés à la fin d’une course, essayant de rompre le ruban de la ligne d’arrivée. « Nous voyons ça tout le temps, ici », a déclaré Roger, assis plus haut sur la passerelle, « parce que c’est tout nouveau pour vous. »

Je les ai rejoints et j’ai commencé à répondre à leurs questions concernant les oiseaux qu’ils étaient surpris de voir ici. J’ai expliqué que les guillemots marmettes qui étaient sur la mer étaient en train de se nourrir; qu’ils retourneraient ensuite dans leur colonie de nidification, sur l’île de Baffin. J’ai invité le groupe à surveiller l’apparition des premiers mergules nains, beaucoup plus petits que les guillemots marmettes. La mer était calme et quelques minutes plus tard, comme s’ils avaient reçu mon signal, cinq mergules nains ont surgi en un groupe parfaitement synchronisé. Sept autres ont ensuite émergé; puis douze autres encore.

« C’est formidable! Comment fais-tu pour savoir cela? », a demandé Lorna.

Je l’ai mise dans le secret. « J’ai consulté notre base de données sur les oiseaux de mer ‘en mer’ avant d’arriver sur C3. Si l’on connait le moment où l’on se trouvera à un endroit particulier, on peut avoir accès à des décennies d’études compilées sur les oiseaux de mer, et ainsi avoir une très bonne idée des espèces et du nombre de spécimens que l’on pourrait rencontrer. » J’ai expliqué que ces mergules nains ne se reproduisaient pas, et que la majorité de la population nichait beaucoup plus au nord, le long de la côte ouest du Groenland. « On estime grosso modo qu’une colonie compte plus de 20 millions d’oiseaux… Comment compter jusqu’à 20 millions?! Ils passeront tous par ici, à l’automne, lorsqu’ils se déplaceront vers l’Atlantique Nord. »

Environnement Canada étudie les oiseaux dans divers habitats à travers le pays : les montagnes, les prairies, la forêt boréale, la mer… Mais on n’analyse pas les oiseaux simplement parce qu’ils sont intéressants. On le fait parce qu’ils sont éloquents.
En comparant leurs conditions actuelles avec celles qui ont été enregistrées auparavant, que ce soit sur le plan des contaminants auxquels ils sont exposés, des quantités de plastique qu’ils ingèrent ou des modifications concernant leur nombre et leur répartition, les oiseaux peuvent nous aider à évaluer les changements environnementaux. Cela est particulièrement important pour un pays énorme et écologiquement diversifié comme le Canada, où les scientifiques sont naturellement disséminés d’un océan à l’autre.

Au Nunavut, Environnement Canada travaille plus étroitement que jamais avec les habitants du Nord; j’ai été ravi d’en parler avec les participants de l’Étape 7. Bon nombre des problèmes que j’ai abordés au cours de ma carrière m’ont été rapportés par des Inuits. La diminution de la population de la mouette blanche (une espèce en voie d’extinction), l’émergence d’une nouvelle maladie aviaire dans le Nord et l’évolution des relations prédateurs-proies entre les ours polaires et les oiseaux de mer sont autant de problèmes qui ont d’abord été observés par des gens qui exploraient les territoires concernés, y voyageaient et y vivaient. Dans les domaines de la biologie et de la cogestion de la faune, les bienfaits de la réconciliation se font déjà sentir.

La journée avançait; nous avons navigué vers l’ouest dans le détroit de Davis pour éviter une zone de glace infranchissable le long de la côte de l’île de Baffin. Au bout de quelques heures, le navire s’est mis à tanguer et à rouler dans une houle énorme. Par souci de sécurité, l’équipage nous a conseillé de descendre sous le pont. Ensuite, les choses ont empiré.

La journée avançait; nous avons navigué vers l’ouest dans le détroit de Davis pour éviter une zone de glace infranchissable le long de la côte de l’île de Baffin. Au bout de quelques heures, le navire s’est mis à tanguer et à rouler dans une houle énorme. Par souci de sécurité, l’équipage nous a conseillé de descendre sous le pont. Ensuite, les choses ont empiré.

Roger nous a mis en garde : « Attendez… il y en a une bonne qui s’en vient ». Une vie passée en mer lui a donné la capacité de repérer les grosses vagues quelques minutes avant leur arrivée. Je me suis agrippé à une balustrade; le navire a lentement été soulevé par une vague, avant de plonger de l’autre côté, directement dans la vague suivante. Il a tremblé. Roger a souri. La vague s’est écrasée contre la proue; elle a semblé monter très haut, jusqu’au pont, et l’eau a éclaboussé les fenêtres.

Finalement, les heures passées à affronter les puissantes vagues du détroit de Davis nous ont permis de contourner le plus gros de la banquise; le capitaine a réorienté le navire vers l’ouest. Nous nous étions aventurés loin en mer : aux marges du pays, beaucoup plus loin que prévu et bien au-delà de la protection de la côte. Alors que nous nous dirigions de nouveau vers l’île de Baffin, les mergules nains ont été remplacés par des guillemots marmettes et, enfin, par des guillemots à miroir. Les fulmars étaient omniprésents.

Plusieurs personnes s’étaient retirées sur leur couchette pendant que les pires vagues déferlaient, mais lorsque nous avons réintégré la banquise, il y a eu un effet d’amortissement sur la houle que nous avons tout de suite apprécié. Les gens ont commencé à sortir de dessous du pont, reprenant leurs esprits et quelques couleurs. « J’adore la banquise! »

Le soir, nous avions atteint la côte de l’île de Baffin; la mer calme reflétait les falaises de granit qui s’élevaient au-dessus de nos têtes. Nous avons siroté du thé au gingembre avec du miel, principalement pour garder nos mains au chaud. Les participants de l’Étape 7 ont ressenti les effets de la glace dans leur corps et dans leur esprit : ils ont directement fait l’expérience des interactions entre les courants marins, la glace, la mer agitée et les oiseaux qui y habitent; ils ont été témoins de phénomènes qui transcendent les frontières internationales et, espérons-le, la politique.