Ma réunion incroyable dans l’Arctique

Par le participant à l’étape 9 Tom Smith

Le gendarme spécial Ningyoo a pris cette photo de moi vers 1963 : à gauche, on peut voir un iceberg; en arrière-plan, l’île d’Ellesmere; à droite, mon attelage de chiens de la GRC. Je porte des vêtements en caribou.

Au début des années 1960, j’ai été agent de la GRC à Alexandra Fiord et à Grise Fiord, sur l’île d’Ellesmere, pendant trois ans. Durant cette période, ni mes collègues ni moi n’avons ouvert de dossier criminel; nous avons tenu un magasin avec les Inuits, arraché des dents, suturé des blessures, retiré un placenta et géré le bureau de poste (le courrier datait parfois de plus d’un an). Avec les Inuits, j’ai parcouru des milliers de kilomètres en traîneau à chiens. Ils ne parlaient pas anglais, alors j’ai appris des rudiments d’inuktitut pour qu’ils puissent me comprendre.

En mars 2017, mon ami Dick m’a téléphoné pour m’inciter à me joindre à l’expédition Canada C3, dont il venait d’entendre parler sur la chaîne de Radio-Canada. J’ai suivi ses conseils; heureusement, Canada C3 m’a sélectionné comme participant de l’Étape 9. Un voyage de deux semaines m’attendait; je me déplacerais à bord d’un brise-glace, de Pond Inlet, au nord de l’île de Baffin, à Cambridge Bay, dans le centre de l’Arctique, en traversant le passage du Nord-Ouest.

À la mi-août, les habitants de Pond Inlet (où l’Étape 9 a commencé, cinquante-deux ans après mon départ de Grise Fiord) se sont rassemblés dans une salle communautaire pour l’annonce de la création de l’aire marine nationale de conservation du détroit de Lancaster. Il s’agit d’une zone deux fois plus grande que la Nouvelle-Écosse, où 75% des narvals du monde passent l’été. Quand je suis arrivé, parmi les premiers, dans la salle, j’ai demandé à une Inuite de me parler d’Ookookoo, un adolescent et chasseur respecté que je connaissais quand j’habitais à Grise Fiord.

Ookookoo en 1963.

Ookookoo est apparu. Je ne l’ai pas tout de suite reconnu, mais nous nous sommes donné une accolade, et, bientôt, des larmes lui sont venues aux yeux; à moi aussi. Je me souviens qu’il m’a raconté qu’un ours polaire l’avait attaqué, avait déchiré son parka et l’avait renversé avant de partir. Au cours des années qui ont suivi, il a voyagé trois fois en motoneige jusqu’au pôle Nord.

Ookookoo et moi, réunis après cinquante-deux ans.

Son épouse, Hannah, l’accompagnait; elle était adolescente la dernière fois où je l’avais vue. Elle a levé un doigt en disant : « Tu as cousu mon doigt. » J’ai désigné mon pouce : « J’ai aussi cousu mon propre pouce! »

Ensuite, les enfants d’habitants de l’île que je connaissais se sont manifestés, de même que leurs petits-enfants et un de leurs arrière-petits-enfants. Je leur ai montré des photos que j’avais prises dans les années 1960. J’ai réalisé à quel point nos racines s’enfonçaient profondément; qu’il me fallait écrire sur mes expériences et partager mes photos de ces moments magiques. La visite a été trop courte; j’avais le cœur gros quand j’ai quitté Pond Inlet.

Lorsque je suis parti durant l’été pour participer à l’expédition, ma maison se trouvait menacée par les feux de forêt qui sévissaient en Colombie-Britannique. Ma femme Midge m’a encouragé à m’en aller (et je l’ai fait); pour mettre les choses en perspective, elle m’a répété les mots suivants, formulés par un Inuit au début des années 1920 sur la péninsule de Kent, près de Cambridge Bay (où s’est terminée l’Étape 9) :

La seule chose importante

Et je repense
À mes modestes aventures
Quand, à cause d’un vent de rivage
Je suis parti à la dérive
Dans mon kayak
Et je pensais que j’étais en danger.
Mes peurs,
Ces faibles peurs
Que je croyais si intenses,
Pour toutes ces choses vitales que j’ai dû obtenir, atteindre.
Et pourtant, il y a seulement
Une chose importante,
La seule chose.
Vivre et voir dans les cabanes, en voyage
Le jour qui se lève,
Et la lumière qui remplit le monde.

Texte recueilli et traduit (en anglais) par Knud Rasmussen, sur la péninsule de Kent, dans : Report of the Fifth Thule Expedition, 1921–1924. Dans : Stephen Bown, White Eskimo: Knud Rasmussen’s Fearless Journey into the Heart of the Arctic, Douglas and McIntyre (2013) Ltd.

Les feux ont épargné notre maison.