Un an plus tard – Les réflexions de Chris White

“L’étape 10 avait installé dans ma poitrine un poids précieux que je ne voulais pas perdre, et j’avais peur qu’en descendant du bateau, je reprenne simplement ma vie normale, que tout ce que j’avais vu, entendu, appris et ressenti s’efface de ma mémoire comme les autres voyages, et que rien ne change.”

(c) Natta Summerky/SOI Foundation

Je me souviens encore de mon dernier pas à bord du Polar Prince, alors que nous embarquions sur le zodiac vers Kugluktuk, à la fin de l’étape 10. C’était un pas difficile à franchir. En effet, je venais de vivre la meilleure expérience de ma vie jusqu’à maintenant. Après avoir vécu en mer avec deux douzaines de Canadiens extraordinaires et m’être fait de nouveaux amis pour la vie, après avoir vu l’Arctique pour la première fois et admiré certains des paysages les plus beaux et les plus sauvages du Canada, après avoir constaté les effets effrayants que les changements climatiques ont sur les écosystèmes arctiques, après avoir communiqué avec les communautés inuites et partagé leur culture et traditions, après avoir entendu les histoires horribles qu’elles ont vécues et participé à de puissantes, mais pénibles discussions en groupe sur la notion de réconciliation, tout était maintenant terminé.

L’étape 10 avait installé dans ma poitrine un poids précieux que je ne voulais pas perdre, et j’avais peur qu’en descendant du bateau, je reprenne simplement ma vie normale, que tout ce que j’avais vu, entendu, appris et ressenti s’efface de ma mémoire comme les autres voyages, et que rien ne change. La nuit précédente, j’avais exprimé cette crainte à l’une des enseignantes autochtones de l’étape 10, Sarain Carson-Fox. Elle m’a rassurée : « Ce n’est que le début. » Même si je savais au fond de moi-même qu’elle avait raison, je n’avais aucune idée de la façon dont toutes les pages blanches de l’histoire étaient censées se remplir et garder vivantes les leçons de ce voyage. Un an plus tard, je suis étonné de voir ce qui m’est arrivé après Canada C3. Je n’avais vraiment aucune idée de ce que je faisais lorsque je suis rentré à Halifax, mais je peux maintenant regarder en arrière et réfléchir à ce qui s’est passé.

Chris White examine le navire Maud d’Amundsen à Cambridge Bay, Nunavut, au cours de la dixième étape de l’expédition Canada C3. (c) Natta Summerky/SOI Foundation

Avant Canada C3, ma vie se concentrait principalement sur mes aspirations personnelles à l’université, en affaires, dans le monde des arts et dans mes loisirs. Dans ma vingtaine, j’en avais beaucoup appris sur le monde et je cultivais un fort désir d’aider à apporter des changements positifs, mais je n’avais aucune idée de la façon dont une personne qui n’a aucune expérience en implication communautaire ou en militantisme pouvait devenir un vecteur de changement. Je n’avais jamais été candidat à un conseil étudiant, siégé à un comité ni fait beaucoup de bénévolat dans ma communauté, et encore moins assumé un rôle de leadership dans une telle fonction. Canada C3 a tout changé.

Bien qu’une grande variété d’expériences naturelles, culturelles et communautaires ont contribué au succès de l’étape 10, je crois que c’est l’ensemble des personnes avec qui j’ai interagi qui m’a le plus touché. Certaines de ces personnes étaient des Canadiens bien connus qui ont touché de nombreuses vies, tandis que d’autres étaient d’humbles Inuits de la région, qui avaient reconnu l’existence de graves problèmes dans leurs collectivités, qui avaient vu que personne ne viendrait pour les sauver et qui avaient décidé d’agir. Je pourrais nommer un grand nombre de ces personnes ayant participé à l’étape 10, mais l’une d’entre elles se démarque particulièrement dans ma mémoire : Millie Kuliktana de Kugluktuk. Cette dernière, en effet, m’a étonné par son histoire de lutte contre l’épidémie de suicide chez les jeunes dans sa communauté. Je me suis rendu compte qu’il y avait peu de différence entre tous ces leaders différents, et que même les plus célèbres n’étaient que des êtres humains ordinaires avec un feu brûlant dans le cœur. Mes interactions avec ces personnes m’ont inculqué un sentiment d’autonomisation que je ne savais pas que je recherchais, et m’ont fait comprendre que si on veut vraiment faire une différence, on n’a qu’à le vouloir suffisamment. Mon expérience avec Canada C3 m’a certainement donné cette volonté.

Avertissement! La vidéo suivante parle de suicide

J’ai toujours rêvé d’avoir des expériences profondes, d’établir des liens significatifs avec les gens, d’apprendre de nouvelles choses, de partir à l’aventure et de grandir en tant qu’individu. Le temps que j’ai passé au sein de Canada C3 m’a donné toutes ces choses en abondance, et je me suis épanoui d’une façon que je n’avais jamais connue auparavant. À mon retour en ville et à ma vie occupé, j’ai été submergé par ce besoin insatiable de m’impliquer dans la communauté, d’interagir avec les gens, d’apprendre les problèmes auxquels ils étaient confrontés et de trouver une façon de contribuer. Je ne sais pas comment, mais tout semble s’être mis en place naturellement. J’ai continué à me renseigner sur l’histoire et l’actualité des Autochtones au Canada, je me suis tenu au courant des événements publics liés aux questions autochtones ainsi qu’à la justice environnementale et sociale, j’ai participé au plus grand nombre possible de ces événements, j’ai appris qui étaient les principaux acteurs dans la communauté, je me suis présenté aux gens, je suis progressivement devenu un visage connu, j’ai noué des liens avec plusieurs organismes bénévoles et je me suis éventuellement joint à plusieurs groupes, avec lesquels j’ai travaillé sur quelques initiatives et projets importants. J’ai également eu l’honneur de rencontrer de nombreux autochtones de la région, d’approfondir mes connaissances sur leur identité et de redécouvrir la culture mi’kmaq qui avait disparu dans la famille de mon père. Tout cela s’est passé dans les premiers mois qui ont suivi mon retour, et les mots de Sarain sont petit à petit devenus réalité. C3 n’était vraiment que le début — comme un Big Bang, l’expédition avait donné naissance à un tout nouvel univers pour moi.

Chris White (c) Natta Summerky/SOI Foundation

Depuis le début de 2018, j’ai assumé un certain nombre de nouveaux rôles bénévoles dans ma collectivité. Après avoir participé à l’exercice de KAIROS et l’avoir reconnu comme un excellent outil pour recréer ce que j’appelle « le sentiment C3 », je suis devenu un animateur de ce puissant atelier interactif sur l’histoire des Autochtones au Canada. J’ai eu l’honneur de partager cette expérience avec six groupes différents en Nouvelle-Écosse jusqu’à maintenant, y compris des bénévoles communautaires, des congrégations religieuses, des employés du gouvernement et même mes collègues ingénieurs. Cela a été très gratifiant de diriger ces exercices, d’aider les participants à absorber l’information dans des cercles de discussion et de les voir tenter d’accepter l’inconfort de la vérité, comme les participants de C3 l’avaient fait aussi. Grâce à l’exercice KAIROS, j’ai également eu le privilège de rencontrer et de travailler avec un certain nombre d’aînés mi’kmaq, ce qui m’a aidé à améliorer mes propres connaissances.

Je suis également devenu un membre actif du Comité d’éco-justice de Solidarité Halifax, ce qui m’a permis de sortir de ma zone de confort et de cultiver mes aptitudes de leadership. Grâce au CEJ, j’ai pu me renseigner sur une multitude de dossiers industriels en Nouvelle-Écosse qui mettent en péril la durabilité de l’environnement et les droits des Autochtones — ce dont je n’étais pas du tout au courant avant C3. J’ai aussi pu travailler avec d’autres organisations environnementales et des groupes autochtones et appuyer leurs causes. Après avoir appris que les peuples autochtones du Labrador luttaient contre le projet controversé de mégabarrage hydroélectrique à Muskrat Falls, j’ai fait des recherches approfondies et j’ai pris l’initiative d’organiser une manifestation publique à Halifax pour sensibiliser les Néo-Écossais, qui auraient acheté malgré eux une grande partie de l’électricité produite une fois le projet terminé. C’est le genre de chose que je n’aurais jamais imaginé faire il y a tout juste un an.

Journée nationale d’action pour soutenir la résistance autochtone au projet hydroélectrique de Muskrat Falls

Peu après mon retour de la 10e étape, on m’a parlé du Nova Scotia Environmental Network, une organisation très influente dans les années 1990 avec d’autres réseaux environnementaux provinciaux, mais qui a faibli ces dernières années après la réduction du financement fédéral de base. Lorsque le NSEN semblait devoir fermer ses portes après 27 ans, un petit groupe de bénévoles, dont je faisais partie, est intervenu pour former un conseil d’administration intérimaire et travailler à la remise sur pied de l’organisme. Après une AGA très réussie en juin 2018, un tout nouveau conseil d’administration a été formé avec moi comme président. Depuis, ce rôle est devenu mon principal poste communautaire, et je passe maintenant une grande partie de mon temps libre à l’extérieur de mes études doctorales à tenter d’établir des liens entre les organismes environnementaux de la Nouvelle-Écosse, à diriger des initiatives qui répondent à leurs besoins, à interagir avec les représentants gouvernementaux, à organiser des événements publics éducatifs sur des sujets environnementaux et à entretenir des relations entre le NSEN et des groupes environnementaux autochtones. Récemment, j’ai même eu l’occasion de rencontrer la ministre de l’Environnement et des changements climatiques (et une ancienne participante de C3), Catherine McKenna, et de lui faire part des préoccupations des Néo-Écossais au sujet des activités de forage exploratoire que la British Petroleum effectue en mer.

En dehors de ces rôles officiels, j’ai continué à élargir mes connaissances et mes relations au sein de ma communauté, ce qui mène parfois à des moments spéciaux qui me rappellent ce « sentiment C3 ». L’une des histoires autochtones que j’ai lues au cours des premières semaines suivant la dixième étape était celle d’Annie Mae Aquash, une Mi’kmaq qui a été entraînée dans le Mouvement des Amérindiens dans les années 1970 et qui a connu une fin tragique. Quelques jours plus tard, j’assistais à une veillée pour les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. J’y ai rencontré Denise, la fille d’Annie Mae, et Catherine Martin, cinéaste mi’kmaq, qui ont travaillé ensemble à la création du documentaire The Spirit of Annie Mae. Je voulais partager cet incroyable récit autochtone, alors j’ai organisé avec la Halifax Central Library pour organiser une projection publique suivie d’une discussion avec Catherine. À ma grande surprise, notre experte locale de l’étape 10, Pam Gross (maintenant maire de Cambridge Bay), se trouvait à Halifax le jour de la projection et a accepté mon invitation. À la fin de l’événement, Pam a partagé quelques mots percutants avec le public au sujet de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, et la soirée s’est close magnifiquement. J’ai dû avouer au public que l’événement avait eu lieu en grande partie à cause de l’effet que Pam avait eu sur moi, huit mois plus tôt.

La réalisatrice mi’kmaw et récipiendaire de l’Ordre du Canada Catherine Martin et la mairesse de Cambridge Bay Pamela Gross

J’ai l’impression de faire maintenant ce que j’étais censé faire depuis toujours, et je dois remercier Canada C3 de m’avoir insufflé l’étincelle d’inspiration dont j’avais besoin. Je n’aurais jamais pu prévoir comment cette première année de pages blanches s’est remplie, mais je sais que la plus grande partie de l’histoire est encore à venir. En tant que participant, je sais qu’une partie de l’héritage de Canada C3 m’appartient, et bien que chaque participant aura sa propre façon de le poursuivre, je ne pourrais être plus heureux du chemin que j’ai trouvé.