Les réflexions sur Namu

Par la participante Canada C3 Hélèna Katz

Un paquet de poudre de curry. Un pot de beurre de cacahuète. Des livres poussiéreux sur les étagères d’un magasin. Des boîtes rouillées. Une vieille grue. Et des bâtiments abandonnés, comme figés en 1970 : ceux d’une ancienne entreprise, extrêmement importante pour Namu, qui a plié bagage cette année-là. Namu a déjà été un village florissant, spécialisé dans la transformation de poissons.

Par un jeudi matin ensoleillé, durant l’Étape 14 de Canada C3, nous sommes arrivés à Namu. Le village se trouve sur la côte centrale de la Colombie-Britannique, au sud de Bella Bella et sur le territoire de la Nation Heiltsuk. Cette dernière nous a donné la permission de l’explorer.

La première conserverie y a ouvert ses portes en 1893; elle les a fermées en 1970. Le chef héréditaire Harvey Humchitt, qui s’est joint à nous pour cette étape de l’expédition, a travaillé à Namu à l’âge de seize ans. Chaque été, la population passait de 20 à 2 500 personnes; les nouveaux venus provenaient d’un bout à l’autre de la province. « C’était une communauté dynamique, se rappelle Humchitt. Les gens avaient leurs danses et leur orchestre ambulant. »

Humchitt a travaillé avec des Blancs, des Japonais et d’autres membres des Premières Nations à l’usine de transformation de poissons. J’ai été surprise d’apprendre que les travailleurs, même s’ils passaient du temps ensemble, logeaient dans des zones séparées de la communauté (il y a de cela quarante ans seulement). Dans les années 1980, l’industrie de la pêche est devenue moins rentable, et BC Packers a cessé ses activités. Le site a été vendu à un promoteur. La Nation Heiltsuk veut maintenant le récupérer.

Notre zodiac s’est déplacé lentement en bas de la promenade du village; nous avons aperçu l’usine, décrépite, qui semblait prête à basculer dans l’eau. Nous nous sommes immobilisés et nous avons marché le long d’un sentier herbeux, envahi par la végétation. On nous avait avertis de la présence de câbles, d’éclats de verre et d’autres choses dangereuses. Je me suis arrêtée pour photographier un tonneau rouillé, et je me suis demandé distraitement s’il était assez vieux pour être considéré comme un artefact intéressant d’un point de vue archéologique.

Un peu plus loin, un chariot d’épicerie avait été laissé à l’extérieur d’un bâtiment : l’ancien magasin général. À l’intérieur, j’ai marché prudemment parmi des débris, écrasant des morceaux de verre sous ma botte. Il y avait des livres couverts de poussière sur des étagères en métal. Quelqu’un a trouvé une cassette vidéo du film Délivrance. On aurait dit le théâtre d’une catastrophe; nous sommes partis rapidement.

J’ai examiné le site. Je me suis interrogée sur les histoires, les souvenirs qui y sont rattachés. Des gens ont vécu ici pendant des milliers d’années. Des fouilles archéologiques ont prouvé une occupation continue de 10 000 ans. C’est ici que les ancêtres du chef Humchitt ont été retournés à la terre en 2011, lors d’une cérémonie de rapatriement, après en avoir été arrachés par des chercheurs de l’Université Simon Fraser.

Je me suis tenue sur la berge, prête à rembarquer sur le zodiac; une vague de tristesse m’a envahie : les souvenirs reliés à Namu, qui datent de milliers d’années, seront-ils oubliés, effacés de l’Histoire? J’ai retrouvé un peu d’espoir, plus tard, quand le chef Humchitt m’a dit : « Ça va prendre du temps, mais on va le nettoyer, cet endroit. »